Zoom Zoom Zoom

C’est terrible.

Y a pas à chier c’est terrible… On essaie de se comprendre, on essaie de se décrypter presque mais on se pite pas quoi… Y a de la neige dans la fibre, ça grésille dans le câble d’écouteur, ça chuinte sa race par-dessus des voix qui s’époumonent pour se faire comprendre. Et ça encore c’est que le son ! Quand on voit la qualité de l’image… Et quand je dis « quand on voit » faut encore voir ce qu’on voit ! Aaaaah la vaaaaache… Putain mais c’est la fête aux pixels là-dedans, c’est plus des gentes c’est des Rubik’s Cube couleur chair… C’est génial, c’est le 21ème siècle, c’est le turfu, c’est la Delorean qui déboule dans l’ordi. Oh bordel de bordel de merde c’est dingo dingue à quel point c’est la grosse merdouille.

Je sais que je pisse dans un violon à raconter des trucs que tou·te·s savent déjà, que tou·te·s ont déjà remarqué, mais c’est vrai que bon faut quand même que je l’dise parce que là hein c’est pu possib.

C’est pu possib,
J’en ai ma claque, la vérité ras-la-casquette, la bouclette, la chevillette. Merde, je m’excuse mais merde.
Non ben oui mais non c’est pu possib.

On était confiné·e·s, OK, on l’a fait, je veux dire que c’était chiant mais on l’a fait. Et puis on s’est fait déconfiné·e·s, c’était couillon parce qu’en fait on s’y était fait quoi, enfin je veux dire c’était presque devenu agréable au fond. Je dis pas pour tout le monde hein, je sais que j’ai de la chance, je suis parmi les privilégié·e·s. Moi du haut de mon privilège je trouvais ça bien, ça m’allait quoi.

Et puis bon on est retourné·e·s au boulot. Là je me suis dit : « tiens je suis pas si de la catégorie des privilégié·e·s moi en fait » et j’ai compris que ce qui faisait mon privilège dans le regard des autres c’était plus un genre d’option. Alors, bon, je me suis dit : « j’ai quand même de la chance » et puis faut dire aussi qu’à la maison avec Clémence on se disait « oui on a de la chance » alors forcément on trouvait qu’on en avait de la chance. Ben oui parce qu’on a déjà une maison par exemple, ça c’est quand même de la chance. Je dis pas ça pour me la péter ou pour vous jeter mon fric à la gueule, hein. On se connaît pas (a priori) mais je veux vraiment pas qu’il y ait maldonne là-dessus. Je dis bon, je dis on a une maison, c’est pas une grosse non plus hein, et pis c’est plus un concours de circonstances, non puis faut voir le prix de l’immobilier dans la région. Noooooon, non c’est pas si cher, c’est pas si cher que ça franchement, on paie le prix de notre ancien appart à Rennes. Bon tu vois, pas si cher quoi, bon après c’est sûr que y a pas les mêmes services non plus. Mais oui, on a de la chance. C’est vrai. On s’est dit ça tous les deux, on se l’est dit même plusieurs fois. Et puis là, BAM, ça reconfine un soir d’octobre…

Ce n’est même pas un mot qui existe, même mon traitement de texte le trouve chelou ce mot, alors qu’il ne trouve même pas chelou le mot chelou…

On s’est reconfiné·e·s, on a fait des courses, on a regardé·e·s les infos. On a essayé de faire comme la dernière fois qu’on avait été confiné·e·s, mais en fait c’était plus la même chose quoi, ça avait plus vraiment la même saveur. Ça sentait le goût de quelque chose d’amer, qui fait presque un peu mal quand on le lèche. Ça sentait le début des emmerdes. Mais bon on s’est reconfiné·e·s quoi, on l’a fait, obligé en même temps c’est pas comme si on pouvait vraiment faire autre chose.

J’en ai marre de ce mot qui apparaît comme une erreur de syntaxe dans mon pavé texte-pensée.

On a qu’à dire zergouflexer… Tant qu’à faire d’être dans les mots imaginaires je préfère un truc qui à l’air de sortir de la boutique d’Eureka (le piaf dans La Petite Sirène) que du cerveau des gentes qui ont eu la drôle d’idée de comparer pandémie et conflits guerriers. OK va pour zergouflexer, au moins le correcteur va en chier, mais il va en chier pour de bonnes raisons, des raisons marrantes quoi.

Alors voilà, ça zergouflexe, et pendant un bon zergouflexe ben on Zoome Zoome Zoome depuis l’œilleton de son petit écran posé sur la table du salon. On essaie de comprendre ce qu’il se passe là-dedans, dans les dedans des autres que d’habitude on voit dans le dehors. Elleux aussi iels Zooment Zooment Zooment, y en a même des qui se sont apéros Zoomé·e·s la gueule la veille (l’alcool n’a pas le même goût dans ces récipients vides que sont nos salons zergouflexés…). L’avantage au moins c’est qu’on a le droit de puer de la gueule quand personne ne peut nous sentir. C’est bien ça, c’est bien un truc de 2020 de chercher un peu de positif dans un immense tas de négatif… On a aussi le droit de se négliger, de ne pas porter de pantalons puisque le Zoom ne Zoome que sur une section comprenant cheveux, tête, épaule.

Heaaaaaad, Shoulders, Knees & Toes, Knees & Toes, Knees & Toes

Les réunions ZoomeZoomeZem c’est vraiment sans ma Benz Benz Benz en tous les cas. De toutes les façons j’ai qu’une 307 Space Wagon achetée d’occaz avec un siège auto pour bébé jusqu’à 14 kilos (gros bébés donc). Pas vraiment de quoi rêver, de toute façon je dors plus des masses depuis quelque temps… Et puis à quoi bon rêver, on a beau rester en bas de pyjama et puer de la gueule on en reste pas moins en train de télétravailler. On peut pas se défiler de son télétravail, c pas possib.

C pu possib.

Autant, le premier… Bon le premier zergouflex il faisait beau, tu vois, le soleil, les oiseaux qui chantaient un peu plus… Moins de pollutions, de bagnoles, d’avions, plus de temps pour les proches. C’était de la meeeeerde, mais mieux que maintenant tu vois ? On se disait presque : si la vie de demain c’est ça, pourquoi pas ! Le monde d’hier c’était foutu, bon ben en route pour le monde d’après alors.

Pauvre con·ne·s que nous étions !
Ben oui
Pauvre con·ne·s !

C pu possib tout ça, on nous l’a dit, la bamboche c’est terminé, on tire le rideau de fer, on ne se boit des bières qu’en solitaire, on oublie d’être solidaire. De toutes les façons se faire péter les ampoules des paumes des mains à force de taper dessus à 20 heures ça n’a jamais apporté un peu plus de lumière. Il manquera toujours des lits en réa et je dis réa parce que je sais maintenant que c’est le moyen le plus court et le plus sûr de dire réanimation. Je suis pas certain de savoir ce qu’on y fout là-bas ni pourquoi c’est si compliqué de rajouter un lit ou deux ou même le nimation qui manque à ma réa. Je me rassure en me disant qu’on doit être un bon paquet à pas vouloir jeter un œil ni en réa ni en nimation mais que dans ce bon paquet on doit être encore un autre bon paquet à chroniquer quotidiennement l’état d’un mot qu’on ne connaît pas vraiment. C’est devenu un sport, une aptitude frénétique à consommer à toute vitesse de l’information par tous les canaux possibles. Perso j’en ai fait une attitude plus qu’une habitude, je me suis vraiment concentré sur ma capacité à ingérer de partout. Je sais plein, je sais plein plein plein plein pleeeeiiiiiiiin. Qu’il y vienne le monde d’après que je lui fasse sa fête !

Ben oui parce que maintenant qu’on le sait bien que le monde d’hier il est niqué il va bien falloir se concentrer sur le monde d’après, de demain, d’après-demain. Mais pourtant. On réfléchit au monde de demain alors qu’on est qu’aujourd’hui et qu’aujourd’hui on se fait chier puissance maximum à se Zoomer la tronche en plein de vignettes minus qui se collent les unes aux autres dans le mépris des règles sanitaires de base. C’est vrai que depuis qu’on se zergouflexe on a jamais autant chopé de virus informatiques. Ma théorie à moi c’est que celleux qui se zooment zooment zooment pensent en zoomant à d’autres qui ont fait de l’exposition de leurs intimités un métier et cette pensée leur donne des envies de se rencarder un peu mieux sur l’intimité et pis de jouer avec la leur.

Le problème c’est qu’à trop mélanger le trifouillage de nos intimités avec le Zoom Zoom on finit par avoir le laptop du bureau tout plein de bactéries sur les touches et dans le processeur.

Il va être rigolo le monde de demain si on se dé-zergouflex… Va falloir expliquer qu’on peut plus se tripoter le Zoom Zoom comme ça pendant les réunions et qu’il va falloir penser à mettre un slip et du dentifrice sur nos brosses à dents. Ça pour sûr qu’il va y en avoir des bonnes leçons et des bons conseils qu’on va nous dispenser en nous dispensant de trop y penser parce que soit dit en passant c’est vrai qu’on puera le fauve. Il va falloir aérer, il va falloir re-vivre. Il y aura des applis pour faire partir le gras, des gentes qui pensent PO-SI-TIF qui vont nous apprendre comment qu’iels font pour penser positif, des discours sur l’unité de la nation, sur la résilience, sur la résistance pourquoi pas puisqu’on est pas sorti de la logique guerrière qui fait qu’aujourd’hui on a l’impression de taper avec des épées en bois sur des trucs invisibles. Il va y en avoir de la petite leçon, du j’dis ça j’dis rien. On va nous pondre des récits héroïques, du roman national, l’histoire de ce·tte gosse qui n’avait rien et qui fit tout pour s’en sortir, se débattant dans la toile pour comprendre le monde qu’iel s’apprêterait à venir solliciter de son diplôme fraîchement obtenu online. On nous montrera par A+B que oui et aussi que non mais que certainement pas peut-être.

Peut-être c’est fini. C’est con, j’aimais bien peut-être.