Vient toujours le moment où ça finit par coincer

Vient toujours le moment où ça finit par coincer. On a beau le savoir parce qu’on l’a déjà éprouvé par le passé à plusieurs reprises et de plusieurs façons, ça ne loupe jamais on finit toujours par se laisser surprendre par ce coincement.

Le moment où ça finit par coincer est un moment étiré dans le temps, c’est une frontière de cellophane dans laquelle le corps et l’esprit se coincent ensemble, c’est du papier tue-mouche, mais pour les humain·e·s : c’est donc du papier tue-humain·e·s,
du papier tue-main·e·s,
du papiétuemain·e·s…

Bref c’est chiant.

Quand ça coince on le sent, ça ne coince pas d’un coup d’ailleurs puisque coincer ça se fait en plusieurs temps qui ne sont pas segmentable ni d’ailleurs segmentés, mais qu’on pourrait tout de même tenter de décomposer, de disséquer puisque nous sommes dans le champ lexical des choses qui nous tuent (même si le moment où ça coince, la coinçade ne coïncide pas toujours avec la dernière des coinceries, souvent l’humain·e subit plusieurs centaines, voire milliers, voire millions de coinçouilles avant que ça ne coince-couic).

Découpons tout cela.

Étape numéro ouno : « tiens ça ne file pas comme prévu », le sujet - disons moi parce que c’est plus facile de parler de moi plutôt que de tenter de te parler de toi - bon, moi, je, moi je suis là comme ça comme un con qui marche et je marche avec toute ma bonne tête de con qui marche et puis d’un coup comme ça boum la jambe qui devient plus souple et en même temps plus rigide. Ou plutôt : la droite devient plus rigide et la gauche plus souple. C’est normal que la droite soit plus rigide et la gauche plus souple, mais pas dans la marche ou normalement les deux sont censées marcher de concert. Et d’ailleurs elles marchent tellement bien de concert, d’habitude dans la marche de la droite et de la gauche, qu’on n’a même pas besoin de se dire que « tiens ça ne file pas comme prévu ».

Quand tout va bien personne ne pense à dire « tiens tout va bien », quand on me demande comment ça va je réponds « ça va » comme un écho de l’autre, mais sans réfléchir à ce que j’y mets dans mon « ça va ». Donc là quand ça ne file pas comme prévu, c’est à dire quand ce n’est pas du « ça va » qui va quoi, ben forcément on le note.

Mais là encore on est que sur du numéro ouno… Voilà qu’arrive le dosse.

Étape numéro dosse : « merde ouille ça grippe », donc là, toujours moi (coucou), je me rends compte qu’en fait c’est un peu plus que quelque chose qui ne file pas comme prévu, là je ressens une gêne, j’allais dire « une gêne qui gêne », mais en fait oui c’est un peu ça « une gêne qui fait mal, mal physiquement », un point de côté qui se colle à l’endroit où ça coince. J’ai mal, pas mal à m’en tordre de douleur, mais mal quand même, je me grippe, la mécanique se coince et je sens bien là pour le coup que tout ce que je fais d’habitude machinalement je ne le fais justement plus machinalement (puisque le sous-entendu serait de dire que les machines marchent et les individus quand iels ne sont pas machines marchent pas).

« On n’est pas des machines »

« Dis donc t’as pas vu machin ? »

On n’est pas des machines quand ça coince, on est un machin·e quand ça coince pas (ou que la personne qui nous désigne ne nous désigne pas par le fait que nous « coinçons », par exemple personne ne vient à l’accueil d’un hôpital pour demander le numéro de chambre de « machin·e »).

Étape numéro tresse : « ça coince » là on est dans le vif du sujet, c’est à dire dans mon vif, on est dans moi et ça coince, on me voit me coincer. Ça coince - parce que je l’ai dit plus haut, mais c’est pas grave je m’en fous de me répéter - ça coince en un mouvement, pas comme quand je dis « ça pue » ou « ça pique » parce que tu pues ou que tu piques et que là c’est juste sur le coup.

Ça coince en un étirement de coinçade coinçouillante, ça coiiiiiiiiiiiiince.

Bon quand on en est à se dire que « ça coince » c’est que c’est déjà trop tard, on est englué dans ce truc et c’est impossible d’en sortir. Enfin plutôt non, mais ce serait divulgâcher (j’adore ce mot, il est si laid !) la suite des étapes donc restez avec moi encore un peu.

Étape numéro quoitro : « je ne vais jamais m’en sortir », c’est le point critique, le moment où tout va paraître complètement foutu. Et ce qui est marrant, enfin pas marrant-marrant, mais bon tu vois le genre, c’est que j’ai beau avoir déjà vécu ça, j’ai beau savoir que ça existe et qu’il y a toujours une finalité à la coincerie et que viendra toujours le moment du décoinconnage, j’ai beau l’avoir su à plusieurs reprises par l’expérience et les mini traumas PFIOUT j’ai tout oublié. J’ai tout zappé et je ne pense pas pouvoir m’en sortir un jour. C’est ce point culminant qui est critique, puisque si on n’y prend pas garde, si on ne fait pas gaffe, on pourrait mourir, mais genre vraiment crever de coinçonnade. Et le pire du pire du pire, c’est qu’on ne peut rien faire, on ne peut que constater qu’on est coincé et que jamais on ne s’en sortira, c’est ce qu’on croit dur comme fer, on croit que c’est dur comme faire, on ne veut justement rien faire du tout, on veut laisser faire parce que c’est ce mouvement de faire qui nous a coincés. Sans doute que si on n’avait rien fait on ne se serait jamais coincé, mais dans ce cas pourquoi dit-on « coincé à ne rien faire » ?

Je pense qu’on dit cela parce que quand on est coincé on ne doit plus rien faire, on doit embrasser avec résignation cette coinçouille et comprendre que ça ne durera pas et que viendra l’étape numéro sinko, celle du grand décoinçouillage.

Étape numéro sinko : « je ne suis plus coincé, je ne sais pas ce qu’il s’est passé, la vie est merveilleusement belle et je vais continuer mon chemin comme si de rien n’était et ne jamais rien tirer de cette leçon parce que yolo life is life prend-moi la main mon cousin l’école est finie nique sa mère le commissaire », si toi aussi tu arrives à cette étape, c’est que la deuxième fin (l’alternative, la version sans les commentaires du réal’), la vraie fin ne s’est pas encore manifestée et que nous sommes tous les deux : moi dans le temps figé de ce que je te raconte et toi dans le temps qui file de ta lecture.

C’est un peu meta,
mets ta main dans ma main,
maintenant nous sommes deux,
Depardieu,
d’yeux pour toi,
toiture en dent de scie,
cimer patron,
tron le film,
film sur la mer,

merde ça r’coince.