Le Salon du Refusé #3

Fenouil à gogo

Été 2018 à Muel

Voilà une recette que mon inconscient m’a dictée cette nuit. Je ne sais pas si elle marche ni s’il est techniquement possible d’avoir un résultat satisfaisant en la suivant à la lettre, mais je suis heureux de pouvoir m’en souvenir ce matin en me réveillant.

Il faut acheter un fenouil, un assez gros, mais qui soit cueilli entièrement (je veux dire, la plante doit être complètement arrachée pour que ça marche, c’est-à-dire racines, chair, enveloppe et tige) ; pour en trouver un pareil j’imagine qu’il faut aller directement chez quelqu’un qui en produise, ou en faire pousser chez soi. J’ai trouvé le mien, personnellement, chez la personne qui m’a donné l’astuce, et je peux vous dire que c’était un fenouil de bonne taille, du genre de la longueur de mon bras et de bien 20 ou 30 centimètres de large.

Il faut que je me dépêche de finir d’écrire cette histoire parce que j’ai peur de ne plus m’en souvenir après, mais j’ai un chat gris aux yeux verts allongé sur les jambes qui se contorsionne en ronronnant et qui me plante ses griffes dans les cuisses. Je n’ai pas envie de chasser le chat, mais je n’ai pas non plus envie d’oublier mon histoire.

Un fenouil, un beau fenouil.

Vous enlevez sa peau, son enrobage, mais très précieusement, il faudrait dans l’idéal parvenir à récupérer une sorte de fantôme de votre légume, un genre de couverture qui aurait la même forme. Dans mon rêve, j’avais noté que c’était comme peler l’écorce d’un arbre, prenez ça comme vous le voulez.

Ah, voilà qu’une mouche s’en mêle maintenant. J’ai un chat qui ronronne sur mes cuisses, une mouche posée sur le bout du nez et une mémoire qui s’efface au fur et à mesure que je me réveille.

Une fois que vous avez récupéré cette « peau » (on va dire « peau », je trouve ça plus logique qu’une « écorce »), il faut la garder bien précieusement dans votre frigo (on doit normalement dire réfrigérateur, ça c’est la vieille qui me l’a dit dans mon rêve, je l’ai noté, donc je le répète).

Ensuite, c’est très simple.

Vous prenez n’importe quel légume que vous aimez particulièrement (dans mon rêve c’était une petite courgette jaune), vous en coupez l’une des extrémités et vous l’enrobez avec la peau du fenouil. Il faut que le résultat ressemble un peu à une sorte de poupée de chiffon, du genre de ces poupées amérindiennes qu’on peut voir parfois dans des documentaires télé. N’hésitez pas à utiliser du cordage, il faut que ce soit bien serré pour que ça marche. Mais faites quand même attention à ne pas déchirer votre peau de fenouil : elle va vous resservir après.

Bon la mouche a du appeler ses copines, parce que maintenant je sens que ça grouille dans ma tête, là, dessous mes cheveux et sur mon cuir. Je tremperais bien mes doigts là-haut pour chasser cette démangeaison, mais je suis déjà obligé de n’écrire que d’une main, l’autre étant occupée à gratter le menton du petit chat gris aux yeux verts.

Comme une image surexposée, le souvenir de mon rêve et le petit calepin que j’avais utilisés pour tout noter sont en train de s’effacer.

Cette poupée il faut la placer à son tour dans le « réfrigérateur » pendant une semaine sans jamais le rouvrir. Autant vous dire de suite que ce n’est pas la peine de stocker autre chose que la poupée dedans, parce qu’il est hors de question d’interrompre le processus !

Au bout d’une semaine, vous pouvez enlever la poupée et la débarrasser de sa peau de fenouil. Le légume que vous chérissez aura grandi et une tige sortira de l’endroit ou vous l’aviez entaillée une semaine auparavant. Au bout de cette tige, une belle fleur bleue aura poussée. Enterrez le légume dans votre jardin, bien droit, afin que seule la fleur dépasse et arrosez copieusement pendant deux semaines. Il ne faut pas, bien sûr, négliger l’apport du soleil : il vous faut un beau, un bon, un gros soleil plein de chaleur qui rôtit sans brûler les chairs. De cette manière, vous obtiendrez un arbre qui vous donnera deux fois ce légume, répétez l’opération avec les deux légumes obtenus et vous en aurez quatre, puis avec les quatre et vous en aurez huit et ainsi de suite jusqu’à ne plus jamais mourir de faim. La peau de fenouil se conserve dans un environnement frais pendant plusieurs dizaines d’années, donc vous n’aurez besoin que d’en manger une seule fois dans votre vie, ce qui est, là aussi, un avantage certain.

J’ai tué la mouche, gratté mes cheveux jusqu’au sang et chassé le petit chat aux yeux verts de mes cuisses.

Le calepin de notes s’est effacé, mais je crois que j’ai dit ce que j’avais à dire.