On change, on vieillit

On change, on vieillit.

On ne se rend pas compte, c’est pas un truc qu’on sent sur soi. Personne n’a un jour entendu ses os grandir, sa peau s’affaisser ou son cul gonfler. Non, on n’entend pas le temps passer, c’est juste comme ça, on se le prend en pleine gueule et on se rend compte que voilà, on change, on vieillit. On devient la paire de pantoufles qu’on enfile, on devient le ronron du chat sur ses genoux, le tic tic de la cuillère dans la tasse de tisane. J’aime de plus en plus le chaud et le mou, je préfère de plus en plus le calme et la nature. Je m’a-fesse, je baise ma garde, je suis plus “sharp”.

Merde même ma tension baisse à force…

Avant j’étais jeune, j’étais sous pression de longue, putain je te jure, je transpirais, j’étais rouge, constamment en train de souffler, les joues gonflées à bloc, prêtes à exploser en miettes. J’étais en colère, je te jure, en colère mais genre j’avais envie de saigner des gentes tu vois, j’avais des idées noires, je voulais faire du mal parce que j’étais trop, tu vois ? J’étais trop à l’intérieur de moi, trop à fond, trop rouge, j’étais une cocotte sur le feu qui siffle à t’en vriller les tympans. Putain, il aurait fallu d’une étincelle pour que tout parte en couille. Je m’en rendais pas compte, je me sentais pas en train de vriller, je comprenais pas mon corps. Mon corps, putain, on en parle de mon corps ? Il a rien, il est rien. Y a rien qui marche là-dedans. C’est plat, c’est mou, ça pendouille là où ça devrait pas, c’est sans graisse là où qu’il en faudrait, c’est moche, pas beau, vilain, caca. Je le savais ça, déjà avant je le savais, à voir les gentes s’enfuir quand je leurs tendais mes lèvres, mes bras, mon cul. Je le savais et ça me foutait dans une de ces rognes ! Oh ! J’en aurais été jusqu’à tirer sur de la carotide avec les dents.

Aujourd’hui, je m’en fous. Je suis moche ? Deal with it, de toutes les façons j’ai vieilli qu’est-ce qu’on s’en fout. Tu me vois moi ? Tu me vois là venir te faire la danse de la séduction ? Mais gaaaaars, mais non mais gaaaaars, mais genre t’as cru quoi ? Je te dis j’ai vieilli, je m’en bats les reins de ta fermeté, de ta graisse dans les bonnes poches, du rouge, du blond, du rose au milieu avec du poil planté comme une forêt de grands pins tout autour. Je suis pépouze, je te jure, je suis pééééééépouze. Si j’étais dans une startup de merde je flipperais de me faire jeter par mon n+1. Mais je suis pas dans une startup de merde. Laisse tomber, j’ai mis les chances de mon côté, j’ai épargné sur la vie, je me suis fait ma future retraite au soleil. J’y crois pas comment j’ai géré, c’était pas easy mais franchement je me suis gavé. J’ai pas touché la clope, la bouteille ni la poudre, je me suis dit “pas pour toi” j’ai tracé des croix sur tout un tas de trucs. J’ai bossé aussi, j’ai taffé dur pour me faire mon trou t’sais. Pas la peine de me faire le coup, je me suis mis à la place que je me suis fabriqué.

Bon je dis pas, une clope ou deux, non je dis pas, non mais si bien sûr de temps en temps un coup à boire, non mais oui mais ça va je suis pas non plus en pierre t’sais. Quoi, t’en as ? Non mais vas-y là si t’en as, nan mais oui mais si t’en as on s’en fait une je dis pas.

J’ai dit “pas trop”.

Je suis sécur, à peu près à l’aise, j’ai des virages serrés à négocier avec moi-même et des drôles de fantômes dans la cervelle qui me foutent les poils, mais en vrai ça va. J’ai plus autant envie de me foutre en l’air. J’ai plus trop l’impression que ce sera ma seule porte de sortie. Je sais que c’est pas malin mais gros j’ai pas dit que je l’étais.

De toutes les façons, bientôt je serai trop tard pour que ça émeuve encore qui que ce soit mes histoires de ouin-ouin qui préfèrerait mourir par ses propres moyens. Bientôt on verra là-dedans plutôt le côté artisanal, le goût des savoir-faire ancestraux.

Je vais casser ma pipe un jour, c’est sûr, je vais casser ma pipe et ce jour-là les gentes passeront plus de temps à regarder la gueule de la pipe que la manière dont je l’aurais cassée.

C’est comme ça : on change, on vieillit.