Ça ressemble à du faux II

Texte de recherche à propos du travail de l’artiste Marie-Laure Gucciardi. (Des petits bouts de ses recherches sont visibles ici, le reste est à chercher dans l’infra-mince.)

Je finis très peu. J’entame des choses qui ne restent que des milieux. Je voue un culte aux processus inachevables. Le problème quand on ne finit pas, quand on ne s’offre pas le luxe d’un brin de photogénie, c’est qu’il n’y a rien à montrer. Il faut trouver des moyens de documenter le processus, pour qu’on s’attache à le regarder, lui, sans attendre de voir où il mène – s’il mène bien quelque part.


Finalement, c’est ça qui a toujours été la grande question. L’inframince, le décalé, le vrai-faux du faux-vrai, tout ça c’est venu, on ne pouvait rien y faire. Mais après, comment on s’en occupe ?


Le travail de Marie-Laure Gucciardi est inframince. Entre invisible, peu visible et imperceptible, il échappe à l’œil, il glisse entre les doigts pour réapparaître dans le dos. Chaque pièce de Marie-Laure fait un pas de côté par rapport au réel et ouvre un espace-entre où se créent un nouveau lieu et un nouveau temps, en décalage infime avec la réalité.


Marie-Laure, où est ton travail ?


Marie-Laure joue entre ce qui aurait pu mais n’existe pas et ce qui existe mais qui n’est pas là. Son travail ne vit qu’à travers sa propre potentialité ; si elle le rend sûr et certain, alors il cesse d’être. Paradoxe. Marie-Laure doit parler de son travail de manière détournée, sans jamais en amputer le processus. Sinon, le château de carte s’effondre.


Tu n’as même plus besoin d’être là pour enclencher la spirale. Tes pièces ont pris leur indépendance. Elles s’auto-génèrent et savent discourir les unes sur les autres sans toi.


Les œuvres inframinces de Marie-Laure existent à travers la trace de leur glissement, elles ne peuvent pas être déracinées de leur contexte. Toutes leurs conditions environnementales et climatiques sont nécessaires pour qu’elles survivent. On ne peut pas les arracher à leur microcosme, sinon elles périssent.


Tu écris sur ton travail en faisant des grattages de pastel. Ton texte s’enfile en miroirs, son visage côtoie l’arrière de son crâne. Il alterne entre plein et creux. Il n’est plus que sa propre trace.


Marie-Laure doit parler de ses pièces en dédoublant à nouveau le temps, elle doit trouver un protocole tout neuf pour décrire le protocole précédent, elle doit encore se décaler, créer une version parallèle de son travail pour pouvoir le montrer, c’est une spirale sans fin où chaque boucle est une nouvelle couche d’information, une nouvelle strate de réel.


Ta pièce engendre une autre pièce qui parlera de ta pièce. Faudra-t-il parler de la pièce qui documente ta pièce ? Voilà, tu as remis en marche la pédale-loop.


La documentation devient elle-même une pièce, elle ne peut pas simplement pointer l’œuvre du doigt, elle doit aussi réinstaller son contexte et surtout ne pas refermer cette fine fracture entre les dimensions.


Tu maîtrises l’art de la pâte feuilletée. 



[Cuisine – Intérieur petit matin d’insomnie – Café]

Nouveau dans le pays, je suis encore dans la phase où tout ce que je vois a une valeur propre parce que je ne sais quelle valeur lui attribuer. […] Lorsque tout aura trouvé un ordre et une place dans mon esprit, je commencerai à ne trouver plus rien digne d’intérêt, à ne plus voir ce que je vois. Parce que voir, cela signifie percevoir des différences, et dès que les différences s’uniformisent en un quotidien prévisible, le regard court sur une surface libre et sans prises. Voyager ne sert pas beaucoup à comprendre […], mais sert à réactiver pendant un instant l’usage des yeux : la lecture du monde.
Italo Calvino, Collection de sable


C’est l’heure à laquelle dormir ne sert plus à rien. Celle où j’ai déserté l’idée du sommeil. Il y a de l’étain chaud contre ma paume, du café dans l’étain chaud, de la fumée au-dessus du café. La fumée, je ne la comprends pas. C’est une volute impalpable mais visible. La fumée immobile n’existe pas. Son mouvement m’est insaisissable. Parfaite maîtrise de l’esthétique de l’aléatoire. La fumée est incroyable. Ma raison ne s’en émerveille plus.


Je suis passée comme tous les jours devant ce mur d’enceinte décrépit. Tu avais remplis de pigment bleu les vides des plaques de ciment arrachées par le temps, le long de la crête du mur.


Le réel m’angoisse. Il ne fait que glisser sur moi. Je ne fais que glisser entre. Le réel, tel que mes sens engourdis le saisissent – et ils le saisissent très peu – s’écoule dans le flot d’un temps linéaire. Mes sens le frôlent, l’effleurent. Je chute au travers du réel comme Alice dans le terrier du lapin. La chute est au ralenti, mais je chute quand même. J’oscille entourée d’œillères, des bouchons sur les tympans et les doigts transis. Ma langue est trop gonflée pour être précise.


C’est à partir de ce jour-là que le mur s’est mis à porter des montagnes.


Le réel est trop présent. Il est tellement évident que je ne sais plus le voir. Tout comme je ne vois plus les affiches accrochées sur le mur de ma chambre il y a des années, le grain de beauté au centre de ma main droite depuis que je suis née, les petites poussières dans l’air qui dépensaient mes heures quand j’étais enfant.


Depuis, tu peins (ou peut-être était-ce avant ?). Des dégradés et des montagnes. Des montagnes de dégradés. Je ne sais pas encore mettre de mots sur ta peinture.


Il faut briser l’évidence. Apprendre à voir à nouveau. Sentir le réel en décalé pour y retrouver ce qu’on n’avait plus perçu depuis longtemps. Déterritorialiser le présent. Il faut se rendre étranger.


Tu es comme l’expert qui vient évaluer les fondations. Tu viens vérifier le futur site de tes interventions et tu tapes avec ton petit marteau sur tous les murs du réel pour en découvrir les failles. Tu analyses l’autour, tu palpes l’atmosphère, pour pouvoir exactement t’y inscrire, t’y emboîter. Pas In situ, Cum situ.


Je ne sais plus lire le monde et j’ai l’impression de vivre noyée sous mon présent. Tout l’autour de moi fuit et je le perds, sans avoir pu correctement y goûter. Je cherche quelques doigts tendus vers les miens, à saisir, pour reprendre pied, quelques larges paumes prêtes à s’abattre sur ma joue pour me sortir de la torpeur du trop vécu. Marie-Laure est venue me trouver pour me pincer l’oreille et m’extirper du rêve éveillé.


Alors, tu viens y insérer ton décalage, encastrer ton pied-de-biche fin comme un cheveu, entrebâiller la porte d’une nouvelle dimension. Tu peins les ongles d’une réceptionniste en dégradé. Tu places tes photos de gratte-ciel dans le cadre des couloirs de l’hôtel. C’est ton film que diffuse la télé dans les chambres.


Marie-Laure m’offre des prises. Nous nous échangeons les pièges. Quand je m’escrime à bloquer les rouages avec des notes sur post-it, Marie-Laure tend des câbles inframinces pour faire trébucher la ferraille.


Après, on se marre bien à la regarder hoqueter en buvant du gin.


Elle place une minuscule brindille pour légèrement enrayer la machine. Elle crée juste un sursaut dans le monotone cliquetis du flux. Elle fait douter un court instant du présent, en montrant un réel presque similaire, un réel parallèle dont la variation est infime.


Tu montres tes pièces à tes spectateurs avant même qu’ils ne s’en aperçoivent. Avant même qu’ils ne soient capables de les voir. Ce n’est qu’après, une fois qu’ils ne sont plus devant, qu’ils savent qu’ils les ont vues.


Et mes yeux ripent, mes oreilles frémissent un court instant, mes doigts tâtent le petit grain sous la surface lisse des choses. Il suffit de cette dérisoire dissonance pour que le réel apparaisse. La couche de poussière la plus infime permet de voir la surface transparente qu’elle recouvre et qu’on ne discerne pas sans elle.


Tu crées le jet lag de l’émerveillement.


Marie-Laure ouvre un petit nid de parenthèses pour me laisser le loisir d’observer. Je cligne des paupières. J’ai vu. Le temps s’est suspendu. J’ai cessé de le suivre en linéaire, il s’est dédoublé, il s’est mordu la queue.


Tu m’as envoyé des draps que tu avais peints, du jaune citron au vert anis.Tu avais dégradé les draps. Pour que je puisse dormir en peinture, tu m’as dit. Tu insères le dégradé dans le quotidien. Tu en badigeonnes un abat-jour, une balustrade, une vitre, un oreiller. Ce n’est plus la forme de l’œuvre qui est ambiguë, c’est son statut.


Marie-Laure crée un autre réel tout aussi vrai que le premier. Elle me permet de concevoir la multitude de réels possible et d’envisager leur présence. Il faut juste que je déploie mes sens pour entendre tous les chuchotements des réels qui se répondent.


Je n’avais jamais dormi dans une pièce artistique. C’est étonnamment confortable.


Les deux réels se superposent. Je ne sais plus lequel je connaissais, lequel je viens de découvrir. Comme deux cercles chromatiques forment une troisième couleur en se chevauchant, une nouvelle tranche, une nouvelle nuance m’apparaît.


Je pense par synesthésie. Toi, tu as la couleur d’une piscine en Californie


Qu’est-ce qui est vrai et qu’est-ce qui ne l’est pas ?


Mais bien sûr, je le sais bien Marie-Laure, je sais bien que TOUT est réel, que n’importe quel réel existe, et qu’il n’y a pas besoin que ça soit du vrai. Laisse-moi juste le temps de bien me secouer du réel monocouche, peau de chagrin et sans saveur que je percevais auparavant.



[Train – intérieur voiture 13 place assise 78 – trop tard pour un sandwich]

Pour le contemplateur d’habitude ou de profession, la fenêtre du wagon ressemble au vase de Tantale. Elle s’emplit par un côté et se vide aussitôt par l’autre. On n’y met pas la lèvre pour boire une eau donnée, que cette eau déjà s’en retire.
Francis Ponge, Méthodes


Par la fenêtre, ça défile. Le mouvement du dehors entraîne celui de la pensée. Les bribes d’esprit se synchronisent avec l’enchaînement des poteaux électrique. Au loin, il y a des éoliennes. J’aimerais comprendre les caprices de ma pensée. Savoir ce qu’il lui faut quand elle renâcle, la rattraper quand elle se délite et comprendre pourquoi soudain, elle coopère, trouver comment l’amadouer et la guider dans la direction où pointe mon doigt.


C’est toi qui m’a montré Gombrovicz. Il m’avait retournée comme une crêpe mais je ne pouvais pas croire que ce n’était pas toi qui racontais. Tu n’oublies jamais de me poser cette question essentielle, à chaque fois que nous nous parlons « Qu’est-ce que tu lis ? » Tu es la seule et c’est ma question préférée. Tu sais que c’est là où se nichent les plus coriaces raisons de la pensée.


Nous partageons une obsession, un écho cacophonique : la schizophrénie sans fin qu’est la pensée de la pensée. Ca hante, ça rôde et ça tourne. Ce petit refrain qui pousse à l’analyse, au scanner ininterrompu, à l’observation soutenue de tous les fils qui courent entre réflexion consciente et révélations intuitives, qui clignotent sans cesse entre ce qu’on pense vouloir dire et ce qui s’est dit sans nous. Cette marotte qui oblige à matérialiser pour dématérialiser sans cesse, à dématérialiser pour rematérialiser toujours. À démembrer chaque tentacule du raisonnement pour en voir l’origine, la spore qui l’a mis au monde. C’est obsédant et ça écrase, ça écartèle et ça oppresse.


Tu parles toujours à plusieurs niveaux. Tes mots se dédoublent en couches de temporalités superposées. Ton discours est un mille-feuille. Ta voix parle en déjà-vu. Tu t’auto-boucles. Tu te mets en abîme. Tu es l’écho de l’écho jusqu’à ce qu’on ne sache plus quel écho est venu le premier.


Si on pense à la pensée, alors qui pense à la pensée de la pensée ? La pensée se défile, c’est la reine de l’esbroufe, du détournement d’attention. Elle se moire et multiplie ses reflets pour qu’on ne sache plus lequel on s’était mis à regarder. La pensée est un liquide non-newtonien à l’envers : c’est quand on commence à l’agiter, à la toucher, qu’elle se délite et fond.


À côté de toi, l’œuf et la poule ne sont que de binaires branquignoles.


Nous nous efforçons de saisir la pensée du coin de l’œil pour ne pas l’effaroucher. Des fois, on ne sait pas si on ne fait qu’épier une ombre ou la pensée elle-même. La chasse à la pensée est un sport épuisant et frustrant.


Est-ce la désintégration de la pensée qui t’a transmis l’amour des glaces ?


Marie-Laure a un jour représenté la pensée comme un boomerang, dont l’ellipse serait plus ample à chaque nouveau lancer. Il revient toujours au point de départ, mais il a chaque fois poussé l’exploration un tout petit peu plus loin.


Tu as toujours très bien chanté Varum.



[Fenêtre – Intérieur soleil – Poussière dans rai de lumière]

Une des fonctions de l’art est la relecture permanente de la réalité. Giuseppe Penone

Au possible découvert grâce au Moulin à café, Duchamp donne aussi un autre nom : “l’inframince”. L’inframince est la dimension du moléculaire, des petites perceptions, des différences infinitésimales, de la co-intelligence des contraires, au sein de laquelle les lois de la dimen¬sion macro et notamment celles de la causalité, de la logique de la non-contradiction, du langage et de ses généralisations, du temps chronologique, ne valent pas. C’est dans l’inframince que le devenir a lieu, c’est au niveau micro que se font les changements. « Le possible implique le devenir – le passage de l’un à l’autre a lieu dans l’inframince.
Et pour avoir accès à cette dimension, la condition est toujours la même – inventer une autre manière de vivre : “l’habitant de l’inframince fainéant.”
Maurizzio Lazzarato, Marcel Duchamp et le refus du travail


Il y a cet attachement perpétuel au refus du devoir faire, au déni de la production finie. On a fait des doigts d’honneur à la photogénie et on espère qu’on saura la mettre dans notre angle mort quand elle nous retombera dessus au coin d’une rue. Parce que bien sûr qu’elle reviendra. Comme un boomerang. On est tous des junkies de la photogénie.


Le doigt d’honneur est ta figure de proue, surtout quand il est immatériel.


On a dit tant pis à plein de choses parce que ce qu’on préfère, c’est finalement ne pas, c’est la tranquillité à la course en sac sans ligne d’arrivée.


Comme au temps de l’houmous, de la terrasse au soleil et de la fontaine place du minage. Comme quand on se donnait rendez-vous sur le parking des pompiers avant de partir travailler sur d’invisibles interventions.


Il faut chercher comment, en art, on peut en faire le moins possible mais le faire du mieux qu’on peut. Il faut faire des listes à points de suspension de tout ce qui nous brise sincèrement les couilles pour ne plus jamais avoir à se le coltiner et de tout ce qu’on ne peut pas faire parce que c’est trop grand, pour pouvoir le transformer en tout petit petit petit.


Tu repeins l’intérieur d’un placard jamais ouvert. Sur un mur blanc, tu appliques une bande fantôme juste un peu plus écrue. Tu brises de quelques degrés l’angle droit d’un mur. Tu dessines un cadre de peinture ocre sur un mur de pierre beige foncé.


« L’imperceptible est ce qui existe par son absence, donc ce que je montre est ce que je ne montre pas, donc ce que je dis est ce que je ne dis pas, donc ma présence est mon absence, donc je suis là sans être là. » C’est ce qu’explique Marie-Laure durant la présentation de son travail. Elle est face au public, elle parle dans un micro, elle se tient debout entre deux enceintes. Au moment où elle prononce ses derniers mots, le spectateur se rend compte qu’il ne s’agissait que d’un play-back et que la voix de Marie-Laure était un discours préenregistré.


C’est une pièce presqu’invisible, cachée derrière le comptoir de l’accueil. Tu as envahi les écrans de télésurveillance. Tu as créé deux vidéos, une pour le vernissage, l’autre pour les jours normaux d’exposition. Dedans, tu as demandé à des figurants de déambuler, pendant que toi aussi, tu marches à travers l’exposition, que tu déplaces les œuvres, que tu y poses ton verre, que tu regardes là où il ne faut pas et que tu effectues toutes ces actions interdites dans un musée.


Même quand Marie-Laure se montre aux yeux de tous, elle fait valoir son absence, elle entrebâille la perception pour y effilocher la temporalité.


Tu proposes mais tu ne guides pas. Jamais tu n’imposeras ce qu’il faut regarder. Tu mettras un petit signe, parce qu’on ne sait jamais. Mais c’est au regardeur de choisir ce qu’il faut voir.


En équilibre entre ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas, Marie-Laure appelle par le présent quelque chose qui ne réside plus que dans le souvenir, un souvenir que nous ne savions pas posséder.


Ton travail est partout. Il s’auto-génère même. Tu n’as plus besoin d’intervenir pour que l’inframince existe tout seul et que nous reconnaissions l’écho de ta voix passée ou à venir. Si ce que tu dis est ce que tu ne dis pas, alors tu ce que tu ne dis pas peut devenir ce que tu dis. Je te vois dans chaque instant de ton absence. Tu t’es rendue omniprésente.



[Juste avant la nuit - Au pied de la statue - Plein Ouest]

C’est allumé à la bonne glace.
Richard Brautigan, Tokyo-Montana Express

La voix d’Elizabeth avait une porte à l’intérieur. Quand on ouvrait cette porte, on trouvait une autre porte et cette porte ouvrait encore une autre porte. Toutes les portes étaient jolies et menaient en-dehors d’elle.
Richard Brautigan, Un général sudiste de Big Sur


Je me rappelle une fois, c’était juste avant que la brèche ait failli être franchie, quand à force de s’étudier elle-même, la pensée n’arrivait plus à se voir en peinture, quand à force de s’auto-réfléchir, elle ne réussissait plus à se regarder dans la glace ; je me rappelle une fois où je suis allée chez elle, comme presque tous les jours à ce moment-là, on réfléchissait ensemble à ce qui pouvait s’écrire, on pensait, des fois en silence et des fois par bribes, mais souvent à l’unisson ; je me rappelle une fois où je suis allée chez elle, elle avait les yeux en feu et elle m’a dit j’ai découvert quelque chose de terrible, je crois que je le hais mais il faut que je m’en repaisse, que je m’y roule, que je m’y vautre ; je me rappelle une fois où je suis allée chez elle et elle m’a dit il faut que je sache comment tu t’y vautreras toi aussi, il faut que je m’y vautre avec toi ; je me rappelle une fois où je suis allée chez elle et elle m’a dit j’ai trouvé la brèche, celle qui s’ouvre juste avant la folie, il faut faire attention et ne pas en arpenter les bords trop longtemps sinon on y tombe ; je me rappelle une fois où je suis allée chez elle et on a regardé la chose pendant près d’une heure et demie et on regardait à travers les mêmes pupilles et nos pensées enfilaient leurs perles sur un seul et unique fil. Je me rappelle une fois où je suis allée chez elle et on n’a jamais reparlé de ce retentissement harmonique, mais depuis, l’écho est ininterrompu.


Je n’ai plus jamais regardé Grizzly Man. Je ne sais toujours pas ce que j’en pense. Je crois bien que toi non plus. Mais tu avais raison, c’est ça, c’est là où se trouve la brèche.


Il faut déjouer la folie par l’humour. Ce n’est pas sa queue qui étouffe le serpent, mais le rire qui monte. C’est l’arme la plus efficace. L’humour attire le regard vers la toute petite faille, il permet l’accroche de l’imperceptible. C’est le seul artifice dont l’inframince accepte de se doter.


Tes idées naissent toujours blagues. Jamais plaisanteries ne m’ont fait autant réfléchir.


Marie-Laure refuse l’ennui dans le travail et ne fait que quand ça l’amuse. Son iconoclasme n’est pas du genre tapageur, il est sans limite mais il ne dépasse pas les bornes de la discrétion.


Ne t’inquiète pas Marie-Laure, je t’ai bien vue te marrer. Je sais bien que toi aussi, tu as compris. Nous sommes dans la nouvelle boucle. Je suis ta nouvelle temporalité. Tu as mis ta voix dans mes mots et mes mains font du playback sur ta bouche.


Marie-Laure rit du sérieux avec un sérieux exemplaire. Marie-Laure rit de tout et de tout le monde, du spectateur comme d’elle-même. Elle ne se moque jamais.


Je suis très heureuse d’avoir écrit ta nouvelle pièce.




L’art, c’est bien. Le poker, c’est mieux.
Marie-Laure Gucciardi