Anthologie des affamées #1

« Elle avait une petite peau rosée complètement ridée. Je devais me retenir dans mon lit quand je voyais son petit derrière ridé sous sa chemisette de taffetas rose, je trouvais ça délicieux. Avant d’aboutir enfin dans son lit, elle ouvrait le tiroir de sa table de nuit. Elle avait une demi-plaque de chocolat Frigor qui devait avoir douze ans, lais elle déplissait chaque soir le papier argenté, pour regarder les quelques carrés qui lui restaient, puis elle les remballait. »

Zouc par Zouc
Entretien avec Hervé Guibert

« Dès qu’elle eut quitté l’institution, elle tenta de mettre en application sa résolution de ne manger que des fruits et légumes frais. Elle avait pris vingt kilos et le résultat était horrible. Elle était lasse du combat constat livrés par ses mains nues et paralysées contre l’ouverture des emballages de couverts de plastique, de serviettes, de petits sachets de sucre et de sel. Elle rêvait de véritables couverts en argent, en particulier de couteaux, et c’est dans cette optique qu’elle se rendit à Chinatown pour acheter un hachoir à légumes et un bon couteau à pain dentelé.

Un soir, alors qu’elle s’apprêtait à dîner d’un chou-fleur elle se heurta de nouveau à ce fichu emballage plastique. Il était enroulé très serré autour du chou et aucun de ses couteaux ne parvenait à en venir à bout. Elle décida finalement de trancher à travers le plastique, et se coupa le petit doigt, entrainant une effusion de sang et de douleur, suivie par une visite aux urgences de Saint Vincent.

Une nutritionniste à domicile lui fut envoyée, une créole, qui décida que cette vieille femme n’était plus capable de se faire à manger. Elle fut enrôlée dans un programme de « livraison de repas à domicile » et en revint à maudire la purée de pommes de terre mixée et les poches individuelles de couverts en plastique, sans parler du sucre et du sel. »

Zones Mortes
Shulamit Firestone

« Comme je mourrais de faim, j’ai soulevé le couvercle de la première soupière.

— C’est très gentil, de votre part, a doucement déclaré l’infirmière, voudriez-vous vous servir des haricots puis les passer aux autres ?

Je me suis servie une assiette de mange-tout et je me suis tournée pour passer la soupière à ma voisine, une rousse imposante. C’était la première fois qu’elle avait reçu l’autorisation de venir à table. Je l’avais déjà vue une fois, tout au bout du couloir, debout devant la porte ouverte d’une chambre avec des fenêtres garnies de barreaux dans des renfoncements. Elle hurlait et riait de façon vulgaire. Elle faisait claquer ses cuisses chaque fois que passait un docteur. L’infirmier en blouse blanche qui était chargé des gens au bout de ce couloir était affalé contre le radiateur, plié en deux, malade de rire.

La rousse m’a arraché la soupière des mains et a déversé le contenu dans son assiette. Les haricots ont formé une montagne devant elle puis le reste est tombé dans ses jupes ou par terre comme de la paille verte. »

La Cloche de détresse
Sylvia Plath