J't'ai jamais dit
Chantal cherche et quand Chantal cherche elle fait en sorte que tout le monde dans le putain de quartier le sache. Il faut que tout le monde sache que Chantal cherche, qu’elle est en train de remuer “ciel et terre” et qu’elle en a “jusque là” de chercher autant mais il faut qu’elle cherche parce qu’il faut qu’elle trouve.
Jean lui de son côté est un con.
C’est un con pas que sur les bords, il est complètement con.
Sa connerie est une vraie matière opaque et dense qui fait corps sur son corps. Son corps de con. Jean est un con mais il se propose quand même pour aider Chantal à chercher. Sans doute, qu’il se dit dans sa tête de con que de chercher à deux ça réduira au moins le périmètre de la zone à chercher et qu’en cherchant ainsi c’est sûr qu’iels vont trouver.
Qu’il est con ce Jean.
Penser qu’il suffit de trouver, que ce serait là le nœud de l’affaire, c’est vraiment faire preuve de connerie.
Chantal s’en fout que Jean l’aide à trouver, elle ne veut pas trouver, c’est pas pour ça qu’elle cherche. Elle veut que le monde sache qu’elle cherche. Alors s’iels se mettent à trouver de quoi iels vont avoir l’air ?
Ben oui…
De deux cons…
Pendant ce temps-là, la pièce montée prend des allures de tour de Pise et menace de se viander dans la piscine à tout moment. Pendant ce temps-là une personne se fripe dans son coin parce qu’il fait trop chaud pour une pièce montée et qu’un quart de Vittel aurait aussi bien fait l’affaire. Je ne sais pas pourquoi on ne dit pas aux vieilles et aux vieux qu’on s’en fout de les voir se baigner et qu’iels pourraient quand même se faire ce petit kif de temps en temps. Je voudrais bien en parler à Papa pour qu’il aille le dire à la pomme au four qui est en train de caraméliser sur sa chaise pliante mais je vois bien à sa gueule que c’est clairement pas le moment. Pour le moment tout le monde regarde Chantal qui cherche le couteau qui “était pourtant posé là y a pas dix minutes”.
Moi je sais.
Je te l’ai jamais dit parce que ça valait pas le coup. De toutes les façons il ne s’est rien passé.
Chantal fait chier, mais ça c’est comme d’hab’, elle fait chier à vouloir se mettre en avant comme ça, à faire ses trucs de meufs qui en peut plus tellement elle est débordée. J’ai plus aucune patience avec ce truc, ça me file des migraines rien que de me remettre dedans je te jure, j’ai les tempes qui battent de gros coups en sourdine.
Mais le monde bordel, le monde ne va pas s’arrêter de tourner si tu t’arrêtes deux secondes Chantal, le monde est capable de surmonter ton absence d’actions…
On a fini par raisonner Chantal en envoyant Jean chercher en cuisine un autre couteau avec peut-être moins de cachet que le premier mais qu’est ce qu’on s’en fout au fond ? L’important c’est la fête pas vrai ? C’est la fête de la pomme au four, oui c’est une blague que je me suis faite, pardon je te l’ai jamais dit non plus. La blague n’est pas si drôle, tu sais c’est ce genre de blague qui ne marche que dans ta tête quand tu te la répètes en boucle. Des blagues comme ça, c’est capable de te faire te pisser dessus tant que tu ne les sors pas. Par contre dès que c’est dehors ça retombe comme un soufflé.
La pomme au four attend qu’on ait enfin mis un coup de couteau dans la pièce montée pour lécher vite fait la crème glacée qu’on aura mise dans son assiette et retourner ensuite se coucher en attendant que le soir ne tombe.
Personne n’ose manger tant que la pomme au four n’aura pas mangé.
C’est quand même con d’avoir fait creuser une piscine. Déjà pour la région c’est con, mais alors pour la pomme au four c’est encore plus con. C’est une idée de Jean remarque. Bon oui, du coup ça semble faire sens, c’est con sur con quoi. Moi je regarde autour de moi et j’attends que tu arrives. J’attends parce qu’on m’a dit que tu allais arriver. J’attends sans vraiment savoir qui j’attends parce que je ne sais plus très bien à qui tu ressembles maintenant. Je te l’ai d’ailleurs jamais dit non plus que je t’attendais. J’ai pas pu te le dire.
Non… Bon allez, je t’explique vite fait alors. Non mais parce qu’en anglais une grand-mère ça se dit “granny”, comme les pommes quoi…
On a ramené un autre couteau, un presque aussi beau que celui qui était là tout à l’heure mais qui n’y est plus puisqu’il est coincé entre l’élastique de mon slip et la chair de mes hanches. Non je te l’ai jamais dit. Je comptais pas te le dire non plus.
On est partis, on savait que tu ne viendrais plus, que tu t’étais défilé. Je ne sais pas ce que Papa attendait vraiment de cette journée. Il n’a pas dit un mot pendant le trajet. Dans sa tête je pense qu’il devait y avoir toute une espèce de speech qu’il avait prévu et qu’il était en train de se le repasser dans tous les sens avec toutes les conséquences possibles. Je l’ai regardé conduire en me disant qu’il faisait partie des pots cassés dans l’histoire et que moi avec mes petites fêlures de rien du tout j’avais aussi l’air d’un con de vouloir jouer les caïds. Je t’ai jamais dit que j’y avais pensé, j’ai jamais été sûr de ce que j’aurais su faire.
En partant j’ai jeté le couteau sous la haie du voisin c’est là-bas que tu pourras le retrouver.