Drogue sourire

J’ai trouvé une super drogue : le sourire : un truc de malade, ça change tout c’est dingue c’est mieux que la picole : le docteur Boute te conseille de te forcer à sourire à toute occasion, mon frère, ma sœur - « tu veux un sac, mon frère ? » me demande avec une énorme banane la fille arabe du night shop à Marseille, je crois que je suis amoureux, le sourire rend amoureux, du monde, de l’air qui flotte entre nous, - sourire c’est comme manger, c’est aimer, faire corps avec, ouvrir les portes du paradis de l’ici maintenant – et c’est un cadeau, un cadeau puissant, même aux méchants c’est un cadeau à faire : tu te fais méchamment casser la gueule ? Le docteur Boute te conseille de sourire mon frère ! Vas-y ! Si tu comprends pas pourquoi, tu comprendras après ! Tu peux chanter aussi, par exemple « me voici, Soleil, me voici comme un enfant », chante ça et sens comme des myriades de petits soleils crépitent dans ton sang, voilà, puis laisse venir un animal en toi : sois pas timide, laisse venir un animal, par exemple une poule, voilà, tu peux chanter « me voici, Soleil, me voici comme une poule », ou alors un scorpion, ce qui est plus pratique peut-être dans l’hypothèse où tu te fais casser la gueule, ou un anaconda pourquoi pas, ou une princesse-oie, un merle moqueur, un pissenlit, une ortie, un spermatozoïde d’éléphant, l’ovule d’une biche, le capot d’un scarabée, le garage d’un Bernard-l’hermite, la bouche d’une sangsue, le sexe sans sexe d’une guêpe, d’un frelon, la faim d’une puce, d’un pou, d’un morpion – voilà : les animaux sont les amis puissants de ta chanson et de ton sourire ; ne sous-estimons pas la puissance de leur présence, de leur absence, de leur absence-présence, hop ils apparaissent et disparaissent, puis réapparaissent, ils sont farceurs, rusés, rapides, ils savent que la vie est une blague alors ils ne sourient pas ; les animaux ne sourient pas car c’est leur existence même qui fait ce job-là, leur job = exister = sourire, sourire = le job en or, un bizness d’enfer, un puits sans fond de richesse éternelle, mais bien sûr attention il y a le bon sourire et le mauvais sourire, c’est comme pour les chasseurs, il y a une juste dégaine à chopper, c’est pour ça que je recommande de chanter « me voici, Soleil, me voici comme (…) » et là mettre le nom de l’animal qui nous rend visite, ça permet de chopper une juste dégaine, laquelle en réalité nous vient du bide, en réalité quand on sourit c’est le bide qui sourit, la preuve ça nous expose les dents, c’est américain sourire, certes c’est américain mais pas que, le sourire américain n’est jamais qu’une goutte d’eau dans l’océan des possibles sourires, ceci dit le sourire américain est exemplaire de ce que peut un sourire, de sa force performative, de son danger : le sourire américain c’est le mauvais chasseur, le bon chasseur par contre il sourit du fond de l’oeil et ça suffit à faire de lui un ange, ça y est il range son arme, oooh le pti chat ! Voyez comme il est visité par son animal intérieur ! Il est tout ému tout mignon ! Poutine ému caresse une poule, j’ai une vision là, je vois Poutine accroupi face à une poule, il… il… il sourit timidement… c’est tendre… Toute la délicatesse du monde se love dans le coin de ses lèvres… quelle saveur, quelle audace, mais il est temps de changer de vision quand même : vite ! Retournons dans le sourire de la fille du night shop ! « Tu veux un sac mon frère ? » Je t’aime ma sœur, dans tes yeux, dans ton sang il fait soleil, ça se lit sur ton sourire comme dans un livre, pourquoi je n’ai pas accepté ce sac !? Quel idiot je suis ! Le sac du sourire, du flash d’éternité, le sac de la compréhension mystique du soleil invisible qui secrètement arrose le monde, le sac de ma sœur qui m’a souri avec une dégaine spéciale, stellaire, cosmique sans faire exprès, c’est ridicule elle voulait juste savoir si je voulais un sac et moi je vois le big bang éclore à travers elle, ses yeux, sa bouche, sa voix qui dit « mon frère » mais c’est beau à crever ma parole ! Allô allô la vie mérite d’être vécue, la preuve quelqu’un m’a dit : « tu veux un sac mon frère ? » Je comprends pourquoi plein de monde veut vivre à Marseille, c’est à cause de la permanence des miracles, du fun du « tout le monde famille », de la drogue de la gentillesse, du soleil animal,